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RIMBAUD 213

aperçus sur la route à travers la lisière du bois ^. " Ses visions sont pour lui comme un événement latéral : " Je baisse les feux du lustre, je me jette sur le lit, et, tourné du côté de Tombre, je vous vois, mes filles! mes reines! ^ " Elles sont au bout de son atteinte. Couché sur le flanc, de ses deux bras tendus, il parvient tout juste à les toucher. C'est un reflet qui passe et que rien n'empêchera de s'évanouir : " Dans les villes la boue m'apparaissait soudai- nement rouge et noire, comme une glace quand la lampe circule dans la chambre voisine ^. " Ce manque de prise et d'embrassement n'est nulle part mieux exprimé que dans le poème intitulé Aube. On y voit, d'une façon sensible, fuir l'objet sans nom dont le poète tâche de s'emparer. Pour- suite vertigineuse et vaine, effort, sans cesse déçu, pour con- tourner l'insaisissable, et qui ne s'achève que par cette demi- réussite : " En haut de la route, près d'un bois de lauriers, je l'ai entourée avec ses voiles amassés, et j'ai senti un peu son immense corps ^. "

Nous apercevons maintenant, d'une façon bien claire, à la fois que l'œuvre de Rimbaud contient quelque chose de différent de son âme, un élément extérieur, et que nous ne devons pas compter sur Rimbaud pour nous expliquer ce que c'est. Il ne peut l'exprimer que tel quel et tout juste ; il le possède d'une façon trop précaire pour

1 Lei Illuminations : Enfance^ p. 201.

^ Les Illuminations 1 Phrases^ p. 190.

^ Une Saison en enfer : M awvais Sang, p. 263. Comparez: "La lampe de la famille rougissait Tune après l'autre les chambres voisines. " {Les De'serts de V Amour, Œuvres, p. 104.)

  • Les Illuminations : Aube, p. i86.

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