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314 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

repos ? " Les embarras de Lamartine s'expliquent par une cause psychologique constante : Il est un joueur... Il prenait les réalités du présent, leur joignait les promesses de Tavenir, les escomptait et poussait l'optimisme jusqu'à la présomption.... Sa femme fait cette remarque saisissante : " Pour lui, la réalité disparaît toujours sous les perspectives idéales, et lorsque la vraie situation se révèle, c'est un éclair qui précède à peine la foudre..." Lamartine aimait sa détresse ; il y trouvait les émotions du risque. Le risque, la lutte avec le hasard, l'appel à la chance (je crois qu'il aurait dit la sollicitation de Dieu), bref, l'obéis- sance à son inspiration, voilà le secret profond de son être, voilà le démon intérieur que nul traitement ne peut dompter. "

"A travers ces faits pitoyables, l'âme de Lamartine reste charmante, rapide, difficile à saisir, comme un cerf à travers les arbres de la forêt dénudée par l'hiver. " Les images de la jeunesse et de l'amour ne l'ont pas toutes abandonné. Près de lui veille sa nièce, " Valentine de Cessiat, figure noble et un peu mystérieuse ", fidèle à la rêverie qu'elle a commencée tout enfant. " Valentine accompagnait le poète dans ses courses à travers la campagne, le suivait dans son cabinet de travail, infatigablement promeneuse et copiste, et le soir lui faisait la lecture. Il aimait les récits de voyage, surtout dans les grandes solitudes monotones et désespérées, les voyages vers Tombouctou où l'on n'arrivait jamais, les expéditions toujours déçues au Pôle Nord. Durant des heures entières, il écoutait ces longs récits.... Tous autour de lui mouraient de froideur et d'ennui. A la fin, — dit le secrétaire, — quand arrivait un ours blanc, tous pous- saient un cri d'intérêt... "

Mais enfin, pourquoi, — malgré des échappées sublimes, preuves d'un génie toujours présent (le Désert, la Vigne et la Maison), — pourquoi ce reploiement d'ailes, ce reniement d'une mission sacrée, ce mutisme douloureux ? Je crois que M. Barrés rapporte bien à sa vraie cause cette maladie du désespoir :

" C'est un arbre planté sur le bord des eaux vives de l'Espé-

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