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99^ LA NOUVELLE REVUE tRANÇAÎSË

Fred se met au piano. Grûnfeld ayant trouvé du Pouch- kine dans la bibliothèque, récite :

— N'en croyez rien, fait Montjoye. Il ne sait pas le russe.

La duchesse, immobile, pèse, derrière son face à main, de ses yeux froids, sur chacun de nous. Elle a cette stérile jeunesse des quinquagénaires américains, les cheveux blancs, des dents en jade. EUe est habillée en infirmière avec une grande croix de rubis sur le front.

Aurore se distrait sombrement. Elle accompagne Fred au piano. J'essaie de me rapprocher d'elle et de chanter moi aussi.

« Tout habillé et ne savoir oîi aller »

qu'Hitchcock, qui l'a créé et qui sommeille sur un fauteuil, déclare ne pas savoir. Aurore se détourne de moi avec humeur. Sur im divan d'angle, Montjoye parle à voix basse à la duchesse avec des rires étouffés.

— Aurore va danser, s'écrie-t-il en se levant soudain. Et il l'amène au miheu du salon. « Tenez, Aurore, je vais vous faire un tapis, un tapis de fleurs, un tapis de perles, un tapis pour votre beauté, pour votre grâce... »

Il vacille, ne sachant plus ce qu'il dit, saccage les vases et jette les fleurs à terre.

Tout tourne. Tout tourne encore dans mon souvenir, et la barbe rousse de Grûnfeld et la face blême de Montjoye, et Aurore, Aurore surtout, dévêtue, entre quatre lanternes en forme de lotus, les bras tendus, ruisselante de sueur, comme possédée, faisant d'un bout à l'autre de la pièce des bonds fous, tournant sur elle-même à une vitesse de machine, laissant sur nos rétines comme une image hindoue aux bras, aux jambes multiples. Elle tombe

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