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RÉFLEXIONS SUR LA LITTERATURE I33

vrillon dépassent de beaucoup en accent et en sincérité, toutes les œuvres « anthumes » (j 'exhume ce mot d'Alphonse Allais, fort inattendu ici, voilà un cas où l'on s'aperçoit que le mot manquait en effet à la langue). Mais les œuvres de notre génération n'ont pas encore beaucoup d'années à demeurer anthumes. La vraie physionomie morale de la guerre ne se dégagera que dans un demi-siècle, lorsque se liront, se publieront, se compareront, avec la masse et le recul nécessaires, les milliers de carnets et de correspondances conservées dans les familles, les liasses subsistantes des cinq ou six millions de lettres quotidiennes envoyées du front ou au front et d'où sortiront probablement des chefs-d'œuvre. Alors, pourra se dresser dans son ampleur, en dehors de tout souci d'apologétique et d'action, la vraie carte des Familles spirituelles de la France.

La vraie littérature de la guerre, on ne la lira elle aussi que dans cinquante ou cent ans. La grande guerre ne se conçoit que comme un fait historique, et un fait n'est historique vraiment que s'il a un avant et un après, s'il possède ses trois dimen- sions. Laissez-lui le temps d'acquérir la troisième et ce n'est pas seulement l'histoire, c'est le rêve, c'est l'art, c'est la création esthétique qui pourront s'installer dans leur domaine, se sentir les coudées franches, respirer à pleins poumons, créer dans l'espace avec les matériaux d'un chantier intégral.

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��Aussi, et sauf quelques exceptions qui confirment la règle, la littérature normale — et la meilleure — fut-elle, ces cinq ans, du côté de ceux qui continuèrent à jouer à la balle. J'ai déjà noté la logique avec laquelle M. Paul Valéry fut conduit par l'atmosphère même de ces années à reprendre dans une mine obscure le filon d'or de la poésie mallarméenne. Ainsi l'on peut dire très vigoureusement et il semble qu'on pouvait

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