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NUIT A CHATEAUROUX 23I

partir de midi, et l'avion allemand à midi avait pu voir Provins subitement fleuri de toutes ses roses. Les aspi- rants de hussards, dont les brandebourgs sont tressés des cheveux de leur bien-aimée, les prétendaient à haute voix, ingrate excuse, tressés en cheveux de Chinoise. Par les fenêtres, on voyait les tailleurs couper d'un seul coup de ciseaux les rebords des pantalons. Le général Anthoine arrivait ; les caoutchoucs privés de martingale flottaient autour des maigres généraux ; dans les manches des médecins-majors remontaient les beaux mouchoirs de soie comme dans les manches des jeunes filles, ces longs épis barbus qu'on y glisse l'été. Seul le colonel Carrie allait à son bureau le front serein, avec des souliers pou- laine vernis, étreints par des guêtres patte d'oie bleues à bandes carmin, avec une culotte kaki passepoil vert, avec un dolman noir à col rouge, écusson mauve, et à gigantesques crevés bleus garnis de trente boutons d'or, avec un fez, un manteau couleur grenade rejeté sur l'épaule et doublé de crème ; et il souriait, et il marchait au milieu de la chaussée ; et ce n'était pas qu'il fût le plus brave ; c'était que sa tenue était réglementaire.

Ainsi se passa ma soirée... dans les transes. J'avais im col rabattu, les sentinelles me rendaient les hon- neurs avec pitié. J'évitais les cours intérieures, les façades. Je remis mes ordres par les fenêtres qui don- naient sur les routes, sur la campagne. Mes renseignements sur les canons portés et les fourrages américains, je les pris par-dessus des barrières, disparaissant au moindre bruit, comme un espion. A la direction de l'infanterie, centre du Grand Quartier, je pénétrai, malgré la canicule, en manteau, les autres officiers à cols rabattus m'imitaient.

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