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246 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

me regarder, j'étais timide, si timide! mais je ne sais ce qu'elle découvrit sur mon visage, le premier qu'elle vit de face après la face de la mort. Je la tenais juste d'un doigt : elle se débattait violemment et sans pouvoir se libérer. Je ne l'effleurais que du bout de ma plus faible pensée : tout son cœur, tout son cerveau se révoltaient sans mesure et en vain. Elle m'entraîna ainsi jusqu'à sa porte, comme un oiseau son faible piège. Je ne l'ai plus revue.

J'ai demandé à mon Américain comment tu étais fait. Il n'a même pas pu me dire si tu avais de la barbe. Laisse-le te regarder de près.

... Si j'ai changé? Dis-moi d'abord un peu comment j'étais à seize ans. Donne-moi un peu de mes nouvelles. Je n'ai ni photos, ni lettres de ce temps-là et tu es, — avec moi, que je ne crois pas, — le seul témoin que je rencon- trerai jamais.

Cher Pavel.

Comment tu étais fait ? Te rappelles-tu ce bal masqué où Julia von Lilienkron me confia son collier pour une semaine. Ce soir-là, je revins seul ; ce collier, à moi, me donnait l'humeur vagabonde ; j'avais un peu pressé Julia sur mon cœur, et pendant qu'elle dansait ses pyrrhiques avec la marque imprimée de toutes ses perles autour de sa gorge, comme si on l'avait retirée à temps, par ses pieds nus, de la mâchoire d'un monstre, je longeai risaar, les balustrades du Maximihaneum, et tout chemin enfin qui me laissait un côté libre. Je rentrai ; je déposai le collier sur mon bureau, dans une boîte de verre. La lune l'inondait, jamais colHer en pension ne fut nourri aussi abondamment. Je me mis à écrire; la boîte était à

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