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270 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

une chevelure où la raie toujours fut au milieu et dont on se venge en riant. Tout ce que l'on me défendit enfant, je me l'accorde. La rue Descente-de- Ville, je la remonte. J'entre au Musée voir le chien empaillé de Napoléon. Je tire enfin au clair tous les secrets qui m'intriguèrent pendant six ans. La rue du Gué-aux-Chevaux aboutit bien à un gué ; la rue des Clercs aboutit à une planche sur l'eau, à un pêcheur, à une ligne aiguë, en ce moment à une ablette qui se débat ; la rue du Foin à des laveuses ; et j'apprends ainsi où se cachait l'orchestre qui a scandé mes trois mille matins... Tout me ramène à l'Indre, chacun de mes secrets a des peupliers pour dernière barrière...

Malgré tout, la Grande-Rue seule m'attire. Sur ce trottoir tous mes pas ont marqué ; voilà que je reprends malgré moi une marche plus courte ou plus longue selon les boutiques ; je dépasse chaque étalage avec le même nombre exact d'enjambées, qu'en mon temps de lycéen : nos traces dans ce monde sont le plus lourdes là où nos pas furent le plus légers; chargé de valises sur tant de continents, chargé du sac et des piquets de tente sur tant de boues, d'un cerveau de plomb dans tant de capitales, je n'ai pu marquer sur cette terre, et ici mes pieds se logent dans leurs antiques moules ; et quelle surprise de revoir, plus brillantes et plus fortes qu'alors, ce que je n'attendais que comme un écho, un reflet : ces superbes enseignes. Voici gravés en mot d'or et en lettres rouges, gigantesques, les premiers noms, cette fois, que j'aie entendus et compris, le mot «Bazar», le mot « Préconiseur public », le mot « Phalanstère »... Il est six heures. Ce que mon voisin appelle day ou sdar devient rose, devient rouge... Pour la première fois, je

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