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474 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

certain goût, et même un grand tact, un sens délicat de la langue, président au choix et à la mise en circulation de ces anglicisrnes. D'abord, l'homme d'état qui en a employé le plus grand nombre en connaît bien la valeur : on a l'im- pression qu'il a surtout appris l'anglais littéraire dans Darwin et dans la littérature évolutionniste de l'époque de Darwin. Le mot fameux « noble candour » a été employé souvent à l'époque où l'auteur de l'Origine des Espèces était encore discuté : la « perfect candour » de Charles Darwin était un des dogmes intangibles des darwiniens, un des grands clichés de la littérature darwinienne, et que les adversaires de ce qu'on appelait alors « l'évolution » — M.. de Quatrefages lui-même — employaient couramment. Ensuite, dans les journaux, dans l'usage quotidien, parmi le public lui-même, on peut remarquer une tendance bien constante à franciser les anglicismes qu'on adopte, et à n'adopter que ceux qui ne choquent ni l'oreille, ni le génie du français. C'est ainsi que bien des anglicismes nouveaux, et contre lesquels les puristes protestent, ne sont au fond que d'an- ciens gallicismes, introduits dans l'anglais aux xv^, xvi^ et xviie* siècles, qui rentrent dans l'usage courant du fran- çais, et y reprennent leur ancienne place. Par exemple, « avoir le meilleur » (dans une contestation ou dans une dispute) peut paraître, à première vue, une traduction mot à mot de l'anglais ; même, celui qui emploie cette expression peut croire qu'il francise une expression anglaise ; en réalité, c'est une façon de dire parfaitement française.

Il y a une autre classe d'anglicismes qu'il faudrait bien se garder de rejeter en masse : ce sont ceux qui réintroduisent par le moyen de l'anglais, des mots latins qui ont gardé, dans la langue de nos voisins, leur pur et exact sens primitif. Le français en prend à son aise avec le latin : nous avons une tendance curieuse à détourner de leur sens premier et réel un grand nombre des mots latins que nous devons à nos

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