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ment de la masse sociale, sans aucun sens de l’unité du pouvoir ou de la personnalité de l’État. L’anthropomorphisme juridique qui a créé l’État, « être de droit », personne morale » et qui n’est qu’un aspect particulier de notre philosophie occidentale de l’individu considéré comme fin et centre du droit, est totalement ignoré par le bolchevisme. On assiste alors à une floraison confuse et luxuriante d’autorité, à de singuliers chevauchements, à de surprenantes contradictions apparentes, qui nous donnent l’impression, à nous Occidentaux, qui avons une âme géométrique, du gâchis total, mais qui laisse l’âme slave évoluer très librement à travers ces contradictions et ces superpositions. C’est ainsi que l’on pourra voir un soviet « local » — celui de Moscou — décréter la « nationalisation » de l’industrie textile ; parfois même ce sera un simple quartier — celui du rayon de Poluostrovo — qui décrétera la « nationalisation » de tous les immeubles. On verra, dans la même ville, des autorités très différentes coexister, sans qu’il y ait opposition violente ou incohérence réelle. À Moscou, par exemple, les anarchistes établiront une autorité tout à fait distincte des bolcheviks, réquisitionnant les immeubles et y installant des services. Le désordre n’est pas accru : le drapeau noir remplace seulement le drapeau rouge sur les lieux réquisitionnés[1]. »

Le bolchevisme est l’épanouissement à peine organisé, à peine systématique, des instincts russes. Ce qui nous trompe et nous fait croire qu’il est un régime adventice et arbitraire, imposé par la force à une masse récalcitrante, c’est la tyrannie qu’il exerce envers les individus.

  1. Voir la Russie bolcheviste, p. 213-14.