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PREMIÈRE VISITE AU LOUVRE 525

descriptive, une épreuve semblable, en attendant, pour décider de leur sort, le jugement des gens du métier ? Que l'on tente l'expérience d'un référendum parmi les peintres, et on verra à quelles hauteurs ils placent, par rapport aux trois peintres précités, les deux seuls génies authentiques de notre époque : Renoir et Cézanne.

La collection Camondo, qui renferme d'admirables toiles de Cézanne, n'est pas encore installée, mais à défaut des œuvres du maître d'Aix, le Louvre actuel nous propose les Paysans des frères Lenain, qui nous adresse- ront, si nous savons les entendre, les mêmes injonctions salvatrices.

Un des miracles qu'opère Cézanne consiste à faire rebondir l'esprit aux plus grandes hauteurs, en partant du plus bas possible. Le sublime pour lui ne réside pas dans le surjet que l'on choisit, mais dans le résultat que l'on obtient à force de ferveur. Ce n'est pas le point de départ qui importe, mais la conclusion à laquelle une âme ardente seule peut arriver. Cet idéal est devenu celui des peintres modernes, encore que les œuvres cubistes le dévoilent fort mal.

Voici les paysans des Lenain. Ils ne font rien qui sorte de l'ordinaire. Le peintre nous les représente dans l'attitude la plus quotidienne. Nul mouvement ne les anime, qui pourrait dramatiser la scène. Nulle obliquité, nulle courbe : la verticalité sur l'horizontahté. C'est le poème de ce que les grands seigneurs de la peinture appelle- raient la médiocrité, le poème du devoir de tous les jours accepté sans révolte. Les personnages de Lenain s'ap- pliquent à dépenser le moins possible de gestes, à faire le moins possible acte d'indépendance. Et le peintre est

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