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602 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

dent, Robinson Crusoé. Robinson met à Torigine du roman d'aventures cette sorte de cristal, de miel sans cire, de sché- matisme pur que le Cid installe à la naissance de la tragédie classique ou la Princesse de Clèves au principe du roman d'analyse. Deux éléments: le désir de l'aventure, puis l'aven- ture elle-même, sous sa forme la plus extraordinaire, la plus neuve pour un homme animal politique, la plus purement aventure : la solitude. L'hyperbole de l'aventure est réahsée par une économie hj'perbolique de moyens, et c'est soutenu par la vigueur même de son suj et que de Foë a pu, comme l'auteur du Cid et de la Princesse, écrire son chef-d'œuvre. Tel qu'il est fondé ici par le romancier anglais, le roman d'aventures est le romande l'énergie, de l'inteUigence utile et de l'action, et c'est ainsi d'ailleurs que les Grecs l'avaient compris dans VOdyssée, L'Odyssée, que Bérard a reliée si matériellement à l'idée thalassocratique, est comme Robinson le livre d'un peuple de marins, de colonisateurs et qui obéit exactement aux mêmes lois. Un héros amoureux y serait ridicule. Sur un tel métal toute faiblesse, toute avance déli- cate d'amour paraît rouille, énerve l'œuvre d'art dans la même mesure et pour les mêmes raisons que le héros, — Virgile nous l'apprend à ses dépens. Le sujet de Robinson excluait automatiquement l'amour, et c'est pourquoi aussi il réahsait automatiquement l'eau-mère du roman d'aven- tures. Mais je crois bien qu'un romancier français n'aurait pas résisté à l'idée de faire de Vendredi une sauvagesse. Comme VOdyssée, Robinson est écrit pour une race, non pour un public, s'imprime sur l'homme dès qu'il sait lire et l'intéresse encore quand il n'est plus qu'un des vieillards spectateurs du Ludi pro patria. Et l'auteur de Mol^ Flanders et de Roxana n'écrit pas seulement comme celu d'Hector ServaJac pour les enfants. Il sait créer des femmes vivantes, touchantes, amoureuses, mais elles demeurent dans le gynécée littéraire. Considérez mainte-

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