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NOTES 803

Voilà aussi presque les mêmes scènes, et les mêmes idées. (L'anticléricalisme de M. Lepic, dans Poil de Carotte et la Bigote, ne le voit-on pas déjà apparaître dans le cha- pitre XVIII des Cloportes ?) D'ailleurs M. Henri Bachelin ne reconnaît-il pas que l'auteur exploita lui-même son roman lorsqu'il écrit, toujours dans la préface : « Et l'on ne manquera point d'établir des comparaisons entre la forme des chapitres extraits de ce roman que Renard corrigea pour les publier de son vivant en manière de contes, de chapitres indépen- dants ou de notes, et la forme que primitivement il leur avait donnée dans les Cloportes. » Ayant utilisé son livre de cette façon, Jules Renard, dont on sait la probité, pouvait-il vraiment le publier ensuite dans sa première rédaction ? Il en avait tiré parti, il ne pouvait plus que le garder secret dans ses tiroirs. Pour lui, ce n'était plus un roman, une œuvre, mais une esquisse ou plutôt une suite d'esquisses de valeur uniquement personnelle.

Pour les critiques, pour les curieux de l'histoire littéraire, il est précieux de découvrir aujourd'hui les Cloportes. Ils en comprennent mieux Jules Renard qui leur apparaît ainsi, obstinément, patiemment, amoureusement, l'écrivain d'un seul livre — le livre de son village. Ce livre, il le travailla toute sa vie, le reprenant page par page, faisant de chaque page, une sorte de dessin, d'eau-forte, qu'il poussait davan- tage à chaque reprise, apportant plus d'exactitude dans le détail, creusant le trait, marquant surtout le caractère expressif des êtres et des choses — à la manière des artistes japonais dont les Concourt avaient, eux aussi, pris pour modèle l'art fini et tourmenté — mais en ajoutant au style artiste cette marque bien à lui, l'ironie sèche et pincée — parce que les hommes et leurs actions, il les jugeait en en traçant l'image.

GASTON SAUVEBOIS

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