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LA SYMPHONIE PASTORALE 929

— Mais tout le monde, Gertrude, sait que je t'aime, m'écriai-je. Elle ne prit pas le change :

— Non, non ; vous ne répondez pas à ma question. Et après im moment de silence, ellereprit,latête baissée :

— Ma tante Amélie sait cela ; et moi je sais que cela la rend triste.

— Elle serait triste sans cela, protestai-je, d'une voix mal assurée. Il est de son tempérament d'être triste.

— Oh ! vous cherchez toujours à me rassurer, dit-elle avec une sorte d'impatience. Mais je ne tiens pas à être rassurée. Il y a bien des choses, je le sais, que vous ne me faites pas connaître, par peur de m'inquiéter ou de me faire de la peine ; bien des choses que je ne sais pas, de sorte que parfois...

Sa voix devenait de plus en plus basse ; elle s'arrêta semblant à bout de souffle. Et comme, reprenant ses der- niers mots, je demandais :

— Que parfois ?...

— De sorte que parfois, reprit-elle tristement, tout le bonheur que je vous dois me paraît reposer sur de l'ignorance.

— Mais, Gertrude

— Non, laissez-moi vous dire : je ne veux pas d'un pareil bonheur. Comprenez que je ne... Je ne tiens pas à être heureuse. Je préfère savoir. Il y a beaucoup de choses, de tristes choses assurément, que je ne puis pas voir, mais que vous n'avez pas le droit de me laisser igno- rer. J'ai longtemps réfléchi durant ces mois d'hiver ; je crains, voyez-vous, que le monde entier ne soit pas si beau que vous me l'avez fait croire, pasteur, et même qu'il ne s'en faille de beaucoup.

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