Page:NRF 13.djvu/987

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

AURORE OU LA SAUVAGE 979

Aurore n'a pas de corsage et nous prive des plaisirs dérobés, mais de ceux-là seuls.

Il y a ce soir quelques femmes du monde. Devant elles Aurore perd toute assurance ; elle n'aime pas leurs regards, cache sous sa tunique ses pieds nus dans leurs sandales dorées et, remontant sa broche, réduit l'échancrure de son décolleté.

Toutes les autres femmes au contraire vont à elle avec leur confiance, lui baisent les mains, mettent leurs jolies figures fardées, pareilles à des bonbons, sur son épaule et lui racontent de fuligineuses histoires où passent des généraux, des metteurs en scène, des domestiques, des suicidés, des fournisseurs et des trafiquants de coco. Pendant ce temps, Roger, assis sur le piano, joue Par si fat avec des coups de rein.

J'ai sommeil. La fatigue est telle que c'est un repos que de rester là à dire qu'on est fatigué. Les propos sont pâteux. Je vais à la salle à manger. Il reste dans les assiettes quelques sandwichs séchés, racornis aux coins comme des timbres mal collés, de la cendre de cigarette, des bouchons ; le niveau des liquides baisse dans les bou- teilles ; les barbes des invités repoussent implacablement. On a les mains poissées et mal à la figure.

Je retourne à ma fenêtre. La rue est maintenant d'un bleu, d'un froid d'acier. Sous le toit, dans un tuyau coudé en S, ime femme pique à la machine, essayant d'arrêter par un ourlet la nuit qui s'effrange.

Je sens un menton pointu pénétrer mon épaule. Je sens contre mon dos, une poitrine se dilater, aspirer

�� �