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ne plus être française. On a vu sous la Révolution et l’Empire quelque chose d’analogue à cette conscription de l’intelligence. Cela a-t-il produit grand chose de bon, tant pour elle que pour l’État ? Dans cette conscription idéale de M. Maurras sont pris le laboureur à sa charrue, le commerçant à son comptoir, l’artisan à son établi et l’homme de lettres à son bureau. Je crains qu’elle ne les transforme en ouvriers de la qualité de ces équipes territoriales qui travaillaient pour la patrie beaucoup moins efficacement que, simples gagneurs d’argent, ils n’eussent travaillé pour eux-mêmes. Laboureur, commerçant, artisan, écrivain ont pour unique devoir le travail bien fait, auquel chacun trouve son compte. La germination du vrai dans le travail de l’intelligence ne doit pas être plus troublée, dérangée de ses lois et de son bien propres que celle du blé sous la sollicitude de l’homme. Dans l’agriculture comme dans la pensée, la France est un pays de travail autonome : laissez Jacques Bonhomme défricher cette pente et planter sa vigne, laissez le Stendhal de demain passer, en suivant son plaisir et sa pensée, sur la route où passait le Stendhal d’hier, — laissez la vie française suivre son rythme immémorial, et, ô traditionaliste, continuer, — la frontière n’en sera pas plus mal gardée.

J’entends bien que la plupart de ces professions n’ont en effet, pour M. Maurras, qu’à continuer, et que sa réquisition comme sa compétence sont attachées à la seule profession intellectuelle. Mais les professions intellectuelles sont diverses. S’agit-il de la science positive ? Évidemment non. Mathématicien, physicien, chimiste, biologiste ne sauraient, sans poser leur candidature aux Petites-Maisons, faire entrer dans leur science un atome de ce genre de servitude. Je ne dis point d’ailleurs que cela ne soit concevable : on a vu Cuvier et Élie de Beaumont aliéner quelque peu leur indépendance scientifique en faveur d’intérêts confessionnels, et l’anthropologie allemande, aidée de Français comme Gobineau et Vacher de Lapouge, a joué avec ses folies germanomanes un rôle assez ridicule. Mais c’est que précisément ces sciences appartiennent à l’ordre humain, déjà historique, intéressent nos ancêtres,