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178 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Anna (à l'exception de mon père qui l'appelait tou- jours : Mademoiselle Anna, nous l'appelions tous par son prénom, et même je disais : Nana, par une puérile habitude que je conservai jusqu'à l'annonce du livre de Zola) — Anna Shackleton portait une sorte de coiflFe d'intérieur en dentelle noire, dont deux bandeaux, qui tombaient de chaque côté de son visage, l'encadraient assez bizarrement. Je ne sais quand elle commença de se coiffer ainsi, mais c'est avec cette coiffure que je la revois, du plus loin qu'il me souvienne, et que la représentent les quelques photographies que j'ai d'elle. Si harmonieuse- ment tranquille que fût l'expression de son visage, son allure et toute sa vie, Anna n'était jamais oisive ; réser- vant les interminables travaux de broderie pour le temps qu'elle passait en société, elle occupait à quelque traduc- tion les longues heures de sa solitude ; car elle lisait l'anglais et l'allemand aussi bien que le français, et fort passablement l'italien.

J'ai conservé quelques-unes de ces traductions qui, toutes, sont demeurées manuscrites ; ce sont de gros cahiers d'écolier, emplis jusqu'à la dernière ligne d'une sage et fine écriture. Tous les ouvrages qu'Anna Shack- leton avait ainsi traduits ont paru depuis dans d'autres traductions, peut-être meilleures ; pourtant je ne puis me résoudre à jeter ces cahiers, où respire tant de patience, d'amour et de probité. L'un entre tous m'est cher : c'est le Retnicke Fuchs de Goethe, dont Anna me lisait des passages. Après qu'elle avait eu achevé ce travail, mon cousin Maurice Démarest lui donna de petites têtes en plâtre de tous les animaux qui figurent dans le vieux fabliau ; Anna les avait accrochées tout autour

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