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l82 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

pour moi un petit lit pliant lorsqu'à ma grande joie ma mère me confia pour quelques jours à son amie, je ne sais plus à quelle occasion.

L'année que j'entrai à l'Ecole Alsacienne, mes parents ayant jugé sans doute que l'instruction que je recevais chez Mademoiselle Fleur et Madame Lackerbauer ne me suffisait plus, il fut convenu que je déjeunerais chez Anna une fois par semaine. C'était, il m'en souvient, le jeudi, après la gymnastique. L'Ecole Alsacienne, qui n'avait pas encore en ce temps là l'importance qu'elle a pris par la suite et ne disposait pas d'une salle spéciale pour les exercices physiques, menait ses élèves au " gymnase Pascaud ", rue de Vaugirard, à quelques pas de chez Anna. J'arrivais chez elle encore en nage et en désordre, les vêtements pleins de sciure de bois et les mains gluan- tes de colophane. Qu'avaient ces déjeuners de si char- mant ? Je crois surtout l'attention inlassable d'Anna pour mes plus niais bavardages, mon importance auprès d'elle et de me sentir attendu, considéré, choyé. Pour moi l'appartement s'emplissait de prévenances et de sourires, le déjeuner se faisait meilleur. En retour, ah ! je voudrais avoir gardé souvenir de quelque gentillesse enfantine, de quelque geste ou mot d'amour... Mais non ; et le seul dont il me souvienne, c'est une phrase absurde, bien digne de l'enfant obtus que j'étais, et que je rougis d'évoquer :

Comme je mangeais ce matin là de fort bon appétit et qu'Anna, avec ses modiques ressources, avait visiblement fait de son mieux :

— Mais Nana ! je vais te ruiner ! m'écriai-je (la phrase sonne encore à mon oreille)... Du moins sentis-jc, aussitôt ces mots prononcés, qu'ils n'étaient pas de ceux

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