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L ISOLEMENT 23 I

vide de l'énorme pavillon du phonographe, un pavillon si large qu'il suffisait de placer sa figure au centre de la paroi pour éprouver la sensation gagnée à la face lorsqu'on fouille des yeux la nuit d'une trappe de cave.

Sous le pavillon était placé un petit sablier. Je m'amu- sais souvent à le retourner ; je le retournais et je regardais, intéressé, glisser dans l'ampoule du bas le sable de l'ampoule du dessus : dans l'ampoule du bas se formait un petit cône de sable roux ; il ne s'allongeait pas à mesure que sa base s'élargissait et la chute du sable dont se vidait l'ampoule du dessus l'aiguisait ; par l'orifice où s'appointaient les deux ampoules, le sable supérieur s'effilait, et sa forme était celle d'un cône creux, la pointe en bas, et dont la base s'affaissait tout d'une pièce.

Mais cela à défaut d'une autre distraction ; lorsque, par exemple, Vito était muet, ne me racontait pas une de ses histoires à dormir debout et que j'écoutais les yeux au " Zouave qui ne fume que le Nil ", (ce visage barbu et souriant était accroché à la muraille, sous le plafond et il semblait se moquer de moi par son hilarité obstinée.)

Durant deux jours — nos deux premiers des quatre " d'habitude " — le café Vito fut très port breton. Dans cette salle, je me croyais vraiment isolé au fond d'un tout petit port de Bretagne où relâchait, pour charger, à moins que ce ne soit pour faire du charbon, quelque vapeur. Tout concourait à m'en donner l'illusion : l'intérieur du café et l'horizon ; le milieu de la coque noire d'un gros paquebot bouchait la fenêtre. Le café Vito s'éclairait sur la berge toute proche du Congo ; ce vapeur me masquait tout le paysage exotique et cela me rendait plus sensible le décor breton de la salle.

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