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246 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

bourgade appelée Kengué que la pluie cessa. Elle cessa d*un seul coup, comme cesse de couler une eau lorsqu'on ferme un robinet. Bien que mon visage fut à la portière je ne vis pas la cessation de la chute de Teau ; mais je la sentis sur ma face au vide qui fut soudain entre le ciel et la brousse ; une violente odeur de terre mouillée adhérait à mes narines ainsi que des tampons de caoutchouc.

Ce fut cela le début de mon premier voyage sur la ligne Matadi-Léopoldville-Kinchassa. Aujourd'hui je refaisais le chemin et, le cerveau alourdi du souvenir morne des deux journées d'alors, chaudes et plates, sans le plus minime événement, séparées par la nuit de Thisville, la petite localité à maisons de planches coiffées de leurs toits de tôle ondulée où mon train avait croisé celui qui descendait à Matadi, je demeurais tout abattu sur ma banquette par le poids des deux journées à vivre prévues pareilles, qui se trouvaient là devant moi à nouveau. Au début de cette longue route ferrée qui allait durer deux journées, nouées par une halte de nuit à Thisville entre les quatre palissades d'une chambrée toute pareille à celle de Ferrier: la Maison Bonvard, connue aussi sous le sobriquet de " La Pipe ", que les passagers avaient adopté afin de railler de ce mot l'interdiction de fumer notifiée aux coucheurs par une brève injonction que la planche de bois blanc où on la pouvait lire et qui vous tirait l'œil, imposait dès la porte. Au début de cette longue route ferrée, déjà la solitude qui allait durer ces deux jours — à part les petites gares autour desquelles vivaient quelques noirs et où on ferait halte : Kengué, Longon, Toumba, Gongo, Kisantou, Tampa et deux ou trois autres — était lourde de la monotonie de la brousse basse, épineuse, aux arbustes couchés, plate jusqu'à

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