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254 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

froid. C'était un froid humide qui me donnait l'impression que mes os suintaient. La vie que tout le jour j'avais sentie derrière mon logis où étaient groupées les cases s'était tue ; alors je frissonnais de solitude, je m'ennuyais. La forêt était toute noire : devant moi les troncs relui- saient de l'eau tombée durant le jour et elle bruissait de l'égouttis de ce qui chargeait les branches et les feuilles.

Après le repas, ne sachant que faire, j'allais dans le village fumer ma pipe, je faisais les cent pas entre les deux alignements des cases ; par les portes basses j'avais vue dans l'intérieur des logis : un homme, une femme étaient accroupis sur la terre battue devant un feu de bois qui s'éteignait, muets, immobiles, le dos voûté sur les braises rougeoyantes ; ils regardaient dehors. Moi, en allant et venant d'un bout à l'autre bout de cette longue rue, j'avais souvent une petite chaleur à l'extrémité de mes dix doigts et une sueur glacée crispait mes tempes : la notion du temps à venir depuis la sueur me faisait éprouver les affres du sentiment de l'éternité.

Palaballa : sous un toit de paille jaune tous les hommes du village sont bercés du chantonnement de leurs femmes qui pilent le grain de la communauté. Les jeunes vont et viennent sur les grains en soulevant et laissant tomber des massues de bois ; l'unique bruit sourd au sol des outils qui ont chu à l'unisson et la cadence de leur marche ; les vieilles alignées encouragent leurs filles ou leurs petites filles en claquant des mains au rythme des pas des ouvriè- res; et elles crient aussi : Aia! Aia ! comme celles que j'ai entendues autrefois accueillir de la berge les piroguiers. Et cela me remet en mémoire les lieux d'autrefois où j'ai vieilli avec les arbres de la forêt : la factorerie de Mogounga,

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