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290 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Thommc social. Mais ils sont rares — et ils ne sont peut-être ni les plus intéressants, ni les plus riches et ni même les plus urgents. J'estime au contraire que le dramaturge, puisqu'il s'agit ici du drame, trouvera de grands avantages à mettre ou à remettre en forme une matière déjà " criblée ", assouplie, épurée — et que, même, un sujet connu, déjà familier au spec- tateur, permet à celui-ci de prêter plus d'attention à la façon dont le nouvel auteur le traite, aux trésors nouveaux qu'il en tire, à la vérité profonde des traits, au ton et à la poésie. C'est d'autre part tout bénéfice pour l'auteur, qui sait par avance où il va, et sûr du terrain, peut bondir ; un sujet donné, déjà mûr concentre en nous la force créatrice, tandis que l'invention pure nous fait courir le maximum de risques dans le sens de la dis- persion. Telle est la leçon des classiques et aussi bien.de Cal- deron et de Shakespeare.

Mais il faut savoir choisir son sujet et tous ne se prêtent pas également à la refonte, surtout lorsque déjà ils ont suscité un chef-d'œuvre et un chef-d'œuvre encore en vie. Racine en récrivant Iphigénte à la française ne fait aucun tort au passé et il enrichit le présent. Moréas, après lui, en la récrivant à la grecque, ne répète pas Racine et sert le texte original. Tous deux à leur façon font " rentrer dans la vie " l'œuvre d'Euripide. Œdipe n'en est point sorti. Par la traduction en vers, faible sans doute, qui a gardé sa place au Théâtre Français et qui fut pour Mounet-Sully l'occasion de son plus beau triomphe, le public français en a connaissance et, je puis dire, amour. Œdipe-Roi sous cette forme fait partie intégrante de notre patrimoine dramatique, non à l'état de curiosité rétrospective, mais je le répète, à l'état vivant. C'est même une des rares œuvres du théâtre antique dont le pouvoir sur notre cœur se soit impé- rieusement maintenu, tant par la généralité du thème que par la force admirablement graduée des situations. Il n'y avait pas à la rajeunir, elle est jeune. Il n'y avait pas à l'humaniser ; elle est l'homme, courbé sous le poids des événements. Il n'y avait

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