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NOTES 315

après avoir acquis une connaissance très étendue de plusieurs littératures européennes contemporaines, choisit, pour s'expri- mer, un dialecte local et des sujets purement nationaux. Imagine-t-on un D'Annunzio écrivant exclusivement en patois des Abbruzzes, ou un Maeterlink qui ne mettrait sur la scène que les paysans d'une province belge? Eh bien, c'est ce que Synge a fait pour l'Irlande, après des années préparatoires passées en Allemagne, en Italie et à Paris ; et son œuvre la plus connue, qui a fait le tour de monde et qui demeure comme le grand monument du théâtre irlandais : Le baladin du Monde Occidental, est une comédie à sujet purement local. M. Maurice Bourgeois aurait dû, peut-être, tirer les consé- quences de ce fait très remarquable, et rechercher s'il n'a pas son équivalent dans d'autres domaines de la littérature : par exemple, le " lakisme " des Lakistes. Peut-être aussi aurait-il pu donner, dans la partie biographique de son ouvrage, un peu plus de détails sur la vie allemande de Synge et sur ses séjours en Italie. Du moins, en ce qui concerne sa vie fran- çaise, il nous renseigne mieux qu'on ne l'avait fait jusqu'à présent. Mais surtout M. Maurice Bourgeois analyse admira- blement le génie même de Synge, dans son essence et dans ses manifestations. Il n'a rien de commun avec ces critiques qui restent toujours autour de l'écrivain qu'ils étudient, et le dénigrent ou le célèbrent comme s'il s'agissait de porter un jugement sur l'homme social qu'il a été : ce qui importe dans l'écrivain, c'est son œuvre, uniquement, et c'est à l'œuvre de Synge que son critique français s'attache, même dans la partie biographique de son ouvrage. D'autre part, M. Maurice Bourgeois s'élève au-dessus de ce qu'il appelle très heureuse- ment " l'analyse chimique ", c'est-à-dire de cette recherche des sources des ouvrages littéraires, en quoi consiste tout le travail de tant de fabricants de thèses. Enfin, il est agréable de voir un français écrire l'anglais avec tant de correction et d'élégance, et pousser la virtuosité, dans ce genre, jusqu'à ne pas craindre d'employer des mots ou des expressions qu'un autre, moins sur de l'instrument qu'il manie, hésiterait à employer et considérerait comme des gallicismes.

VALERY LARBAUD

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