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324 • LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

fâcheux amour pour une liberté fausse et inutile. Nous n'avons jamais bien éclairci l'idée de patrie.

Est-elle ce qui fut, ce qui est, ou ce qu'on veut qu'elle soit? Si nous sentions en nous la force de Télever plus haut, considérant l'avenir, nous aspirerions à l'union. Pour que la volonté se détermine, il faut que le désir de créer l'inspire. Mais nous avons peine à concevoir de puissants désirs, parce que nous subissons passivement la domination des idées traditionnelles.

Nous nommons patrie, non pas cet ensemble que nous sommes, nous qui vivons ensemble sur le même fonds, mais une idée particulière qui nous fut transmise, presque toujours héréditairement, marquée de la forte empreinte de notre classe. Du groupe dont nous suivons la des- tinée, nous n'avons qu'un sentiment obscur, le plus sou- vent hostile. Nous sommes moins satisfaits de partager son sort, impuissants à l'embellir, qu'irrités de supporter sur nous son poids. Nous nous berçons de l'illusion d'un passé qui eût mieux assuré notre bonheur particulier. La patrie, il est rare qu'elle ne soit pas faite de nos pré- jugés de caste et de secte.

Nous tirons des souvenirs qu'on nous lègue nos tra- ditions, dont nous faisons des doctrines, et sur celles-ci nous fondons nos partis. Seules nous lient ces traditions qui en même temps nous divisent, étant le principe d'unions particulières. Ainsi la tradition devient dans une nation l'élément dissociant par excellence. Elle soumet l'esprit à l'empire d'idées qui ne se meuvent plus au cours de la vie. Elle le cantonne dans l'idéologie, l'attache à l'idole. Le désir de vivre et la volonté de croître nous lieraient au contraire en un faisceau.

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