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414 l^A NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

du pasteur. Certains s'en seraient indignés, qui, en sou- venir des époux, excusaient les veuves. D'autres, moins rigoristes, s'en amusaient; des enfants s'esclaffaient. Pour moi, j'étais un peu gêné parce que j'étais assis tout à côté de ma grand'mère. Cette petite comédie recom- mençait chaque dimanche ; on ne pouvait rêver rien de plus grotesque ni de plus touchant.

Jamais je ne pourrai dire combien ma grand'mère était vieille. Du plus loin que je la revois, il ne restait plus rien en elle qui permît de reconnaître ou d'imaginer ce qu'elle avait pu être autrefois. 11 semblait qu'elle n'eût jamais été jeune ; qu'elle ne pouvait pas l'avoir été. D'une santé de fer, elle survécut non seulement à son mari, mais à son fils aîné, mon père ; et d'année en année, aux vacances de Pâques, longtemps ensuite, nous retournions à Uzès, ma mère et moi, pour la retrouver toujours la même, à peine un peu plus sourde; car pour plus ridée, depuis longtemps cela n'était pas possible.

Certainement, la chère vieille se mettait en quatre pour nous recevoir, mais c'est précisément pourquoi je ne suis pas assuré que notre présence lui fût bien agréable. Au demeurant, la question ne se posait pas ainsi; il s'agissait moins pour ma mère de faire plaisir à quelqu'un que d'accomplir un devoir, un rite, comme cette lettre solennelle à ma grand'mère qu'elle me contraignait d'écrire au nouvel-an et qui m'empoisonnait cette fête. D'abord, je tâchais d'esquiver ; je discutais :

— Mais qu'est-ce que tu veux que ça lui fasse, à bonne- maman, de recevoir une lettre de moi ?

— Là n'est pas la question, disait ma mère. Tu n'as

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