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424 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

la porte de la resserre, au fond de la salle à manger. Il y avait, dans cette porte très épaisse, ce qu'on appelle un nœud de bois, ou plus exactement, je crois, l'amorce d'une petite branche qui s'était trouvée prise dans l'aubier. Le bout de branche était parti et cela faisait, dans l'épaisseur de la porte, un trou rond de la largeur du petit doigt, qui s'enfonçait obliquement de haut en bas. Au fond du trou on distinguait quelque chose de rond, de gris, de lisse, qui m'intriguait fort :

— Vous voulez savoir ce que c'est ? me dit Rose, tandis qu'elle mettait le couvert — car elle me voyait tout occupé à entrer mon petit doigt dans le trou pour prendre contact avec l'objet...

— C'est une bille que votre papa a glissée là quand il avait votre âge et que, depuis, on n'a jamais pu retirer.

Cette explication satisfit ma curiosité, mais tout en m'excitant davantage. Sans cesse, je revenais à la bille ; en enfonçant mon petit doigt, je l'atteignais tout juste, mais tout effort pour l'attirer au dehors la faisait rouler sur elle-même, et mon ongle glissait sur sa surface lisse avec un petit grincement exaspérant. L'année suivante, aussitôt de retour à Uzès, j'y revins. Malgré les moqueries de ma mère et de Marie, j'avais tout exprès laissé croître démesurément l'ongle de mon petit doigt, que, d'emblée, je pus insinuer sous la bille ; une brusque secousse, et la bille jaillit dans ma main.

Mon premier mouvement fut de courir à la cuisine et de claironner mon triomphe. Mais escomptant aussitôt le plaisir que je tirerais des félicitations de Rose, je l'ima- ginai si mince que cela m'arrêta.

Je restai quelques instants devant la porte, contem-

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