Page:NRF 14.djvu/464

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

4^8 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

dame Paulina s'élance sur le roi. 11 n'y a plus de roi ici : un chré- tien et un pénitent. Paulina, qui le maudissait, le console. Quelle puissance ! quelle grandeur !

Shakespeare n'a rien conçu ni réalisé de plus vaste ; il atteint, il dépasse Œdipe, car Léontès est responsable et a tramé délibérément son malheur... — Qu'on ne croie pas que, saisi par le drame même, j'aie perdu de vue un instant l'interprétation que le Vieux Colom- bier nous en donne ; dans ses plus hauts moments, la mise en scène fait corps avec le drame au point de n'en pouvoir plus être distin- guée ; nous voyons de nos yeux le chêne et la hache tombant sur lui : le roi au faîte de son trône, l'écroulement de son orgueilleuse folie ; mais nous ne savons déjà plus par quel moyen Copeau nous la fait voir. Une aire nue, un entassement de cubes, deux person- nages — et le Dieu est présent. — On pourrait négliger la courte scène anecdotique qui montre Antigonus, ayant abandonné le nou- veau-né sur le rivage de Bohême, poursuivi par un ours qui le croquera, et aussi la scène finale où un berger indigène ramasse l'enfant. Elles n'ont pas d'autre but que d'amorcer l'acte suivant ; elles sentent déjà l'intermède, la féerie, le divertissement. Mais arri- vons à ce quatrième acte.

C'est à Shakespeare, ce n'est pas à Copeau, que s'adressent ici nos objections. Est-il de saine économie dramatique, après trois actes surtendus, quand l'action arrivée à son faîte doit marcher vers le dénouement, de proposer au spectateur une si longue halte dans la fantaisie. Shakespeare sait parfaitement où il va ; il veut donner l'impression du temps — quinze ou seize ans — qui sépare le troi- sième acte du cinquième. Mais puisqu'il a mobilisé le Temps lui- même, qui faisant office de chœur, nous présente en Bohême le prince Florizeî et la jeune bergère Perdita, il eût pu par la même voix nous mettre au courant des événements qui remplissent le quatrième acte, ou tout au moins, les abréger. Il sait qu'une action nouvelle ne peut désormais que nous décevoir et que nous ne par- viendrons pas à nous intéresser passionnément aux amours des deux jeunes gens, tandis que Léontès expie ses fautes en Sicile. — Non, sa pièce est d'esprit chrétien, ellecomporte rédemption et résurrec- tion ; elle ne peut s'achever que dans la joie ; il importait de nous montrer l'amour vainqueur : de là cette charmante idylle. Pour

�� �