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LE PARADIS DES CONDITIONS HUMAINES 5S3

ont commencé à se former; puis nos yeux les ont vus s'agglutiner en une espèce de gelée opaline; comme ravis en extase, aucun de nous ne faisait plus un geste; aussi loin que la vue s'étendait, tout mouvement était suspendu parmi nous; notre contemplation restait seule à s'exercer devant soi, avec une activité ardente et magné- tique ; je n'oserais affirmer que tout ce que nous avons vu ce jour-là et par la suite n'a pas été le produit de cette contemplation elle-même.

Chacun de ces nuages était animé d'une petite giration intérieure ; l'ensemble de ces mouvements, rapides ou lents, devait se régler sur quelque proportion secrète, parce qu'il nous causait par lui-même une jouissance harmonique d'un ordre aigu : la réunion de ces brouil- lards s'effectuait elle-même sur une cadence continue, paisible et gracieuse, auprès de laquelle aucun de mes plaisirs anciens les plus raffinés ne me paraissait plus conserver de valeur ; il n'était pas un seul de nos sens qui ne prît sa part de cette volupté et n'y trouvât comblé le vœu essentiel dont il est l'expression.

Ici encore la notion du temps m'échappe ; de nouvelles années ont dû s'écouler. Des horizons ont pris corps autour de nous. Mais ai-je le droit de parler de corps, là où rien ne trahit la douleur? Semblables nous-mêmes à une émanation, nous avons vu se former autour de nous un paysage d'émanations. Et comme nous nous étions groupés sous l'empire de nos affinités, chacun de nos petits groupes s'est ainsi trouvé le centre d'une contrée qui était l'image même de ses préférences.

La voix de Renaut a murmuré :

— Mon ami très cher, n'avancerons-nous pas?

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