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REFLEXIONS SUR LA LITTERATURE 37 1

même, sur le pavé parisien, que lorsque, les dés ayant roulé sur la table des dieux, l'humanité, avec Bob à son centre de feu, fut prise dans la plus tragique aventure de l'histoire. Plus précisément, tout ce qui compte comme roman de guerre appartient au roman de la destinée et non au roman de l'aventure.

Un roman de la destinée est un roman qui se passe dans une sorte de pensée cosmique, atmosphère qui nous baigne et nous pénétre, et où tout ce que nous faisons semble exister idéalement avant notre action. Voici quelques lignes de Boh hataillonnaire :

« Le train interminable se perdait dans un tunnel. Des copains reconnurent Bob, l'appelèrent, il monta avec eux et l'homme du génie.

« Plus tard, avec les premiers mouvements rythmiques du train, il sentit que sa personnalité s'évanouissait tout à fait.

« Excellent nirvana où l'on se fout du tiers comme du quart, où l'on dort d'un sommeil de bête, où les contingences n'ont pas d'importance. La locomotive pense pour tous, et c'est elle seule qui marquera le premier arrêt où d'autres volontés se substitueront à la sienne. »

Voilà bien la psychologie d'un retour de permission. Et ce senti- ment amer et doux de la destinée où l'on est embarqué, servait en somme de fond continu, tantôt apparent et tantôt recouvert, à presque toute la vie militaire. Il y avait là plusieurs éléments. D'abord la face interne de la discipline, force principale des armées: le soldat (et aussi le gradé inférieur) est plié à l'obéissance plus qu'à l'initiative ; tout le détail de sa vie est public, administré, matricule ; il sécrète naturellement une philosophie dont le mek- toub n'est que la forme extrême et logique. Puis cette sécrétion se comporte sur lui comme un enduit protecteur, crée un calus d'in- différence, engendre des attitudes utiles à la dure vie quotidienne. Enfin ce sentiment est favorisé par certains mécanismes psycholo- giques : on pourrait, semble-t-il, définir le sentiment passif de la destinée comme une paramnésie chronique, c'est-à-dire une faculté de projeter toujours du passé sur le présent. Dans la vie de cam- pagne je tombais toujours, en arrivant dans un nouveau pays, sur cette impression : tout ce que je voyais, je l'avais déjà vu. Comme en permission je n'étais pas sujet à ces paramnésies (et que je ne

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