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594 , l-A NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

accoutumé, par la production contemporaine, à des elïcîs volumineux.

II apparaît tout d'abord que le drame se rattache à la tradition réaliste. Il s'en dégage pourtant un parfum, je dirai une odeur d'âme qu'on ne trouve pas aux meilleurs ouvrages dramatiques du réalisme.

Je voudrais bien éviter tout ce qui pourrait ressembler aux pro- fessions de foi des écoles, mais je dois dire ce qui est mon sentiment à ce sujet. Nous ne pouvons plus renoncer aux acquisitions du réa- lisme : nous avons pris là un goût de la vérité, une habitude de la vie qu'il nous est impossible de perdre. Mais je pense que l'exacti- tude des méthodes réalistes n'est incompatible ni avec un lyrisme intérieur, ni avec une profonde flamme idéaliste, ni avec la fantai- sie, ni en un mot avec la poésie. Rendre perceptible tout ce qu'il y a d'âme dans le réel, tout ce qu'il y a d'éternel dans le quotidien, tout ce qu'il y a d'esprit dans les choses, tout ce qu'il y a de vérité sous l'apparence, et cela sans en venir à l'artifice facile du symbole. Voilà un but sur lequel il faut avoir les yeux attachés.

Le Paquebot Tenacity est parfaitement joué au Théâtre du Vieux- Colombier. Jacques Copeau vient à peine de reconstituer sa troupe, en partie dispersée par la guerre et, déjà, il obtient des résultats exceptionnels. Tout le monde — presse et public — s'est accordé à le reconnaître. Il faut, pour bien comprendre les raisons de ce miracle, avoir vu et entendu Jacques Copeau diriger une répétition, expliquer un texte, placer une réplique, commenter un personnage, donner une intonation, disposer des silences. Il faut aussi avoir respiré cet air de confiance et de cordialité qui règne dans la maison.

J'aime beaucoup le Hidoux que nous a composé Bacqué. A vrai dire le mot composé convient mal : c'est Hidoux que nous voyons, Hidoux en personne et Bacqué parvient à nous faire oublier qu'il y a un acteur accompli derrière ce bonhomme.

Vitray et Le Goff sont très judicieusement choisis pour interpré- ter Bastien et Ségard. Dès qu'ils paraissent, ils nous donnent, de leur personnage, une idée juste et vivante que leur jeu amplifie par la suite d'heureuse façon. Vitray a obtenu beaucoup de succès; il possède ce que l'on appelle au théâtre «une nature». Le Gofif, tout sensibilité et tendresse voilée, a de son texte une conscience profonde, presque douloureuse.

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