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quelque étroite que soit sa prise, il n’adhère jamais à sa monture au point de s’identifier avec elle : à l’âge de la maturité la pensée devient, d’un appréciable degré, un être libre, préservant une relative autonomie vis-à-vis de l’esprit même auquel elle se trouve attachée, — et l’esprit le sait ; il sait aussi que ce n’est que par l’effet d’une illusion de la jeunesse qu’il a jamais pu croire à une identification réelle. De cette vérité, dès la première Introduction, plus que quiconque Valéry a pris la mesure ; à tout moment son esprit se sait distinct de sa pensée, quelle qu’elle soit, — séparé d’elle par l’irréductible conscience ; mais comme à son Monsieur Teste, il a fallu à Valéry des années « pour mûrir ses inventions et pour en faire ses instincts » ; il a fallu tout le travail de la maturité pour que cette vérité — dont il avait jusqu’à l’ivresse savouré l’amertume — passât dans son style et en trempât définitivement le glaive.

Jusqu’à présent nous n’avons eu pour objet que de décrire une certaine attitude mentale, et, puisqu’enfin il fallait choisir, nous avons choisi dans l’Introduction ce qui nous paraissait le plus propre à l’éclairer. C’est dire que de la pensée de M. Valéry nous avons envisagé plus encore le fonctionnement que les résultats auxquels elle atteint. Mais la fidélité même avec laquelle nous nous sommes appliqués à la suivre nous autorise peut-être à nous en évader momentanément afin de mieux pouvoir lui rendre justice. Comme tous les grands esprits de qui la grandeur est en raison directe de leur particularité, Valéry a une méthode, et une méthode qui lui est strictement personnelle ; mais parce que nul n’attribue moins d’importance que lui à la chétive idée de personnalité,