Page:NRF 14.djvu/76

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

yO LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

A la Baigneuse de Renoir, comment ne pas redire l'invocation du poète ? Rose, verte et dorée elle est le prisme vivant d'animalité sereine, le vase de parfums d'où la sève coule à pleins bords. Ce n'est pas la nymphe de la Seine dévêtue par Courbet ou par Maupassant, et qui garde sur soi le reflet des besognes, ou des joies quoti- diennes, non moins pénibles; ni le modèle déshabillé dans le brouillard d'un atelier-tabagie. Ce sont les robustes déesses du Plein-Air : pays découvert par les pionniers impressionnistes, qui oflFre, comme la nature ancienne, ses points de vue de convention, mais dont la surprenante merveille éblouit la fin d'un grand siècle.

D'aucuns font honneur à Renoir de l'invention de la peinture claire. Mais Rubens, et le vieux Jordaëns ? Et Renoir ne se gaussait-il pas de ceux qui racontaient que le noir était banni de sa palette ?

La clarté de son art est celle même d'une imagination docile aux images de la vie terrestre, rebelle à tout sym- bolisme littéraire ou mystique. Et quelle grandeur dans le portrait de Madame Charpentier, quel style aimable, na- turel et triomphant tout à la fois dans ces figures dont les traits sont indécis dans nos mémoires, dont les yeux ne nous harcèlent pas de traits inoubliables, mais dont le sou- venir semble peser sur nous ainsi qu'une caresse. Reflet sur une joue de jeune fille, délicatesse d'un poignet où naissent les bleus de la maturité, fruit charnu des lèvres humides, beautés que l'on sent sur soi, beautés des sens aux sens à jamais perceptibles et précieuses.

Un tableau de Renoir n'est pas un spectacle extérieur, une chose étrangère qu'on regarde. C'est comme un vêtement de joie qui vient s'appliquer à la peau et qui

�� �