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7^4 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

art assuré... Ce qui ne veut pas dire qu'il n'ait lui aussi beaucoup à travailler pour acquérir cette maîtrise du style qui est le signe des grands artistes.

On a profité les représentations du Bœuf pour condamner en bloc l'œu- vre de Darius Milhaud : « Du procédé, bien peu de musique. » Et moi, en li- sant cet arrêt, je^sonpeais à la douce A lissa. Un cycle de vingt-deux lieder sur des textes en «rose tirés de Idi Porte Jîfroiïe d'André Gide, peignant un sentiment unique sous des nuances "peu variées et qui, tant est puissante l'intensité de l'expression musicale, ne donne pas un 'instant d'ennui. N'est-ce pas la preuve évidente qu'il y a chez le jeune homme de vingt ans qui l'a conçue autre chose que du savoir-faire?

Alissa fut chantée un soir par Madame Jane Bathori en cette Maison des Amis des Livres qui, pour être aussi petite que la demeure de So "rate, n'en est pas moins toujours pleine de vrais amis des Arts. Lorsque ce fut fini, on sentit à la manière dont les voix tremblaient, dont les yeux brillaient, que l'âme avait vraiment parlé à l'âme. Qu'im- porte dès lors que la technique soit debussyste ; qu'on retrouve dans la déclamation les accents de Bilitis et dans les harmonies l'écho lointain de la Cathédrale engloutie, puisque ce qui rend cette musique émou- vante, ce n'est pas tel effet de sonorité, mais le sentiment qui l'anime. D'ailleurs, cette œuvre qui emprunte à l'impressionnisme son vocabu- laire courant, n'est aucunement impressionniste d'inspiration. Ces lieder feraient bien plutôt penser à Schubert, à Schumann, à Mendelsonn qu'à Debussy ou à Ravel, sinon pour la forme, du moins pour l'esprit. Il y a chez Milhaud un fond d'inspiration sentimentale assez romantique et la manière même dont parfois ce gros garçon saute sur la table et fra- • cas-*e la vaisselle en dansant un exubérant cavalier seul, rappellerait assez bien les ébats des musiciens et poètes chevelus au temps de Louis-Philippe.

On voit paraître de temps à autre chez Darius Milhaud ce besoin de jeu bruyant. Sa gaieté n'est pas la farce tonitruante d'un Chabrier, ni l'humorisme pince-sans-rire d'un Ravel, c'est celle de sa génération qui prend un plaisir infini au cinéma, aux clowns, diViXjazz bands. Person- nellement ce comique m'échappe en grande partie, mais je constate qu'il amus ' les autres et je ne songe pas à lui refuser dogmatiquement le droit d'exister. Le Bœuf sur le toit est le meilleur exemple de ce genre excen- trique. Une fantaisie construite en forme de rondo, sur un certain nombre de tangos et de danses ou chants populaires brésiliens, avec des effets d'orchestres imprévus renouvelés des jazz-hands nègres de l'Amérique du Sud, traduit en une langue discordante, aux rauques accents, les impressions de l'auteur assistant au tumultueux carnaval

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