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LE NÈGRE LÉONARD ET MAITRE JEAN MULLIN 889

— Puisqu'il me faut un surnom je préférerais un nom de lieu comme : La Croix-Cochard. Ce n'est pas agressif.

— Et ma foi, ce n'est pas laid non plus, fit Jean Mullin. Le Maître sera même très content, car il aime les noms fastueux qui rebondissent indéfiniment. Nous avons connu, Léonard et moi, au temps déjà lointain où le célèbre Quevedo visita l'enfer, un Espagnol dont le surnom s'augmentait chaque jour d'un titre nouveau. Il fallait en moyenne soixante années d'étude et^de la mémoire pour prononcer son nom sans en omettre une syllabe.

Cette petite formalité réglée à l'amiable, je me sentis soulagé d'un grand poids. Je me fis l'effet d'un ballon rouge dont on a coupé la ficelle et qui se sépare allègre- ment de la grappe.

Je n'étais lié au diable que par un sobriquet. Et j'avais failli lui donner mon âme en échange.

A la suite de ce changement je repris ma personna- lité, d'autant plus que les deux acolytes assis à mes côtés paraissaient utiliser la leur plutôt mollement.

— Mon cher Croix-Cochard, soupira le magistelle, nous avons sous les yeux les reflets d'une bien triste époque.

— Il ne faut pas vous frapper, Magistelle. On dit cela tous les ans.

— Oui, oui, je sais. Mais le peuple des sorciers perd sa foi dans les usages traditionnels et la tradition dans les usages cultuels, c'est notre raison d'exister.

Autrefois, les grands juges nous faisaient ce que vous appelez de la publicité. Des hommes comme Pierre de

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