Page:NRF 15.djvu/234

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trépidité avec laquelle il a d’emblée rompu avec toute entité étrangère, au dédain parfait qu’il a tout de suite affiché pour toute espèce de représentation, au ridicule qu’il a sans hésitation jeté sur l’idée qu’une œuvre d’art pouvait avoir à ressembler à quelque chose, à la tranquillité avec laquelle il s’est mis non pas du tout à se peindre, mais à descendre lui-même, chair et âme, dans son poème. L’œuvre de Rimbaud n’est qu’un corps qu’il s’est donné. Avec la vitesse et l’immédiateté du génie il a conjuré pour son usage et, si j’ose dire, pour sa décharge personnelle, une de ces grandes « créatures » prodigieuses comme on en voit circuler dans les Illuminations.

Rimbaud fut de naissance un émigrant : « Le long de la vigne, m’étant appuyé du pied à une gargouille, — je suis descendu dans ce carosse dont l’époque est assez indiquée par les glaces convexes, les panneaux bombés et les sophas contournés. » Il n’a jamais cherché qu’une chose : s’en aller ; la littérature ne fut rien pour lui qu’un premier exil ; il s’y jeta poussé par le même mépris de toute société, par le même frénétique besoin de n’appartenir à personne qui devaient plus tard le conduire au Harrar. On cherche pourquoi il a cessé brusquement d’écrire ; mais on s’éviterait ce problème si l’on voulait bien remarquer qu’en fait il n’a jamais écrit, au sens jusqu’à lui donné à ce mot. Il s’est simplement manifesté. Qu’il ait un moment employé les mots à cette fin, le hasard peut-être tout seul en a décidé ainsi. Et peut-être, de son point de vue, fut-ce une faute que d’avoir consenti à ce mode d’expression. N’est-ce pas peut-être ce qu’il voulait faire comprendre à sa sœur quand sur son