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3 lé LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Adolphe n'a nullement ce caractère de nihilisme sec qu'on y voit quelquefois — à travers certaines figures de. la vie de Constant — il est plus près de Rousseau que de Chamfort. L'amour y est envisagé d'un long et mélancolique regard qui en pèse tout le poids substantiel et en pénétre l'éternelle réalité. L'amour d'Adolphe et d'EUénore acquiert chez Constant ce poids et cette réalité par une construction en profondeur d'une psvchologie ou mieux d'une philosophie vécues. « L'amour, dit-il de son commencement, supplée aux longs souvenirs par une sorte de magie. Toutes les autres affections ont besoin du passé : l'amour crée, comme par enchantement, un passé dont il nous entoure. Il nous donne, pour ainsi dire, la conscience d'avoir vécu, durant des années, avec un être qui naguère nous était presque étranger. » Adolphe paraît illustrer cette idée que l'amour est pour notre être la manière par excellence de durer, qu'aimer c'est durer, c'est amasser un capital intérieur dont nous dépendons de plus en plus. La mémoire et l'habitude que notre vie psychologique enregistre ordinairement avec lenteur, l'amour leur communique une accélération effrayante, à tel point que Lorsque l'amour lui-même est éteint — c'est le cas d'Adolphe — la mémoire et l'habitude qu'il a déposées en retiennent la figure, suffisent à en maintenir l'image, à enchaîner bon gré mal gré l'homme à cette image : « La longue habitude que nous avions l'un de l'autre, les circonstances variées que nous avions parcourues ensemble avaient attaché à chaque parole, presque à chaque geste, des souvenirs qui nous replaçaient tout à coup dans le passé, et nous remplissaient d'un atten- drissement involontaire, comme les éclairs traversent la nuit sans la dissiper. Nous vivions, pour ainsi dire, d'une espèce de mémoire du cœur, assez piquante pour que l'idée de nous séparer nous fût douloureuse, trop faible pour que nous trouvassions du bonheur à être unis v. La pro-

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