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TOUTES CHOSES ÉGALES d'aILLEURS... 369

Ce promeneur, c'est Anicet fils, qui parle, mentalement et non pas en frappant les parois de sa bouche avec sa langue, en soufflant l'air de ses poumons sur ses cordes vocales et en agitant ses lèvres comme font puérilement les acteurs dans les pièces de théâtre : « Décor où se com- plaît ma sensibilité, je te baptise Passage des Cosmora- mas. J'ai parmi mes vieux jouets une boîte de prestidi- gitation où, sur des étagères garnies de miroirs de métal, sont rangés les gobelets, les muscades, la baguette jaune et noire, les mouchoirs de couleur, les pièces de cinq francs à l'effigie de Napoléon III multipliables à volonté, tout l'attfrail d'un transfigurateur des mondes. Ce lieu en est l'image, et tout s'offire à ma guise pour y transposer la vie. Aux devantures, les inscriptions ne demandent qu'à changer de sens, et si je lis : ici on parle anglais, l'humble boutique dévient pour moi un endroit mystérieux où l'on s'assemble pour se croire en Grande - Bretagne : merveilleux subterfuge dont je demeure saisi. Les majuscules sur les glaces des maga- sins se muent en troublants hiéroglyphes. Les noms propres des fabricants prennent des significations mena- çantes. Le faux-jour qui naît du conflit des lampes aux vitrines et de la clarté blafiirde du plafond, permet toutes les erreurs et toutes les interprétations. Quel étrange aspect revêtent chez l'orthopédiste ces appareils trop bien faits, sinistres imitations de la nature même, démons qui attendent un amputé pour le posséder en s'interposant entre sa volonté et la vie. Ecris, main de bois, dit le manchot, mais elle continue à se déplacer suivant son grand axe, avec une précision mécanique, sans tenir compte des observations. Tout à

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