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TOUTES CHOSES ÉGALES D AILLEURS... 379

requiert contre lui avec une fougue cicéronienne. Enfin quand on lui demande sacramentellement son avis per- sonnel, Anicet se lève, et sur le ton d'urbanité que nous lui connaissons, expose à la cour la véritable version d'un incident déplorable, où lui-même fut le premier lésé, le premier leurré, le premier désabusé. Il prend à témoins les divers étalages qui l'entourent, et qui sont tous légèrement fautifs dans cette aventure, pour expliquer au tribunal d'une façon primesautière et pittoresque la marche des événements. Il ne dédaigne dans son brillant exposé ni quelques redondances rhéto- riques, ni cet esprit un peu mordant qui lui vaut le plus souvent des succès d'estime. Mais l'auditoire ne semble pas se laisser convaincre, et sur l'assurance du Docteur qu'Anicet est fou, mais inoffensif, on rend notre jeune orateur à sa famille avec des conseils hydrothéra- piques que celle-ci met à profit en lui intimant l'ordre de voyager. Au finale, tandis que la foule massée à gauche entonne un chant injurieux pour le voyageur et que ses parents au premier plan à droite baissent triste- ment la tête de honte, on voit Anicet s'éloigner dans le fond d'un air allègre, un bâton sur l'épaule et toute sa fortune dans un mouchoir noué au bout de ce bâton : une montre en or, cadeau maternel, un centimètre en ivoire, don de son père, le mépris général et quelques principes de philosophie. Et comme il n'y a pas de rideau pour clore le spectacle, on se contente d'un manque opportun d'électricité qui vient rappeler bien à propos à l'honorable société qu'il n'est comédie si légère ni badinage si superficiel qui ne nous doive faire souvenir de ce que la lumière n'appartient que passagèrement

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