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shakespeare : antoine et cléopatre
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cœur. Eros, allons ! fais vite. C'en est fait du soldat. Emporte cette ferraille, à qui parfois pourtant j'ai fait honneur. Va ! laisse-moi seul un moment.

(Eros le quitte.)

Je vais te rejoindre, ô Cléopâtre, je vais implorer mon pardon. Tout délai me torture. Une fois éteint le flambeau, il ne reste plus qu'à se coucher, sans tâtonner dans le noir plus longtemps. Mon effort désormais ne s'en prend plus qu'à soi-même. Il faut apposer ici notre sceau ; et que tout en soit dit. — Eros ! — Je viens, ô ma reine ! — Eros ! — Attends-moi ! Sur les prés semés d'asphodèles, la main dans la main, nous irons. Notre démarche passionnée fixera le regard des ombres, Didon et son amant Enée jalouseront notre cortège. — Holà ! Eros ! Eros !

(Eros revient.)

Eros. — Que désire mon Seigneur !

Antoine. — Depuis que Cléopâtre est morte, j'ai vécu dans un opprobre à faire honte aux dieux. Moi qui façonnais le monde à coups de glaive et qui sur le dos glauque et mouvant de Neptune construisais des cités de vaisseaux, aurais-je à présent moins de résolution qu'une femme, moins noble cœur que celle qui m'enseigne à présent par sa mort comment on se délivre de César, en disant : « Moi seul peux disposer de moi ». Eros, tu m'as promis que lorsque le moment viendrait, et le voici certainement venu, où je ne verrais plus d'échappement possible à l'horreur, sur ma demande tu me tuerais. Fais. Il est temps. Dis-toi que ce n'est pas moi que tu frappes, c'est César que tu frustres. Allons ! mets un peu de rouge à tes joues.