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shakespeare : antoine et cléopatre
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qu'il soit seulement, qu'il ait pu être, voici qui déborde le rêve, et la puissance d'imaginer. La Nature envie, pour créer, l'étoffe inépuisable du rêve ; mais en concevant un Antoine, elle fait pièce au rêve et le rêve cède, vaincu.

Dolabella. — Ecoutez-moi, chère Madame. La perte que vous venez de faire est inestimable, assurément ; elle n'a d'égale que votre douleur ; que jamais rien de ce que j'entreprends ne réussisse si, par contrecoup, je n'en ressens moi-même un chagrin qui me touche le fond du cœur.

Cléopatre. — Je vous remercie bien, Monsieur. Savez-vous ce que César prétend faire de moi ?

Dolabella. — Je répugne à vous dire, ce qu'il faut pourtant que vous sachiez.

Cléopatre. — Faites donc, je vous prie.

Dolabella — Si généreux qu'il soit...

Cléopatre. — Il veut me traîner en triomphe.

Dolabella. — Madame, il en a l'intention.

(Cris à l'extérieur : Vive César ! Place ! Place !)
(Entrent César, Proculéius, Mécène, Séleucus.)

César. — Où donc est la Reine d'Egypte ?

Dolabella. — Voici l'empereur, Madame.

(Cléopâtre s'agenouille.)

César. — Relevez-vous. Il ne faut pas vous agenouiller. Je vous en prie, relevez-vous, reine d'Egypte.

Cléopatre. — Les dieux l'ont voulu, sire ; je dois, à mon maître et Seigneur, obéissance.

César. — Quittez donc ces sombres pensées. Le souvenir de vos offenses encore qu'inscrit à même notre