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RÉFLEXIONS SUR LA LITTERATURE 437

Mais l'écrivain, moins lesté par la matière, réser\'e ce genre

de déformation à ses ennemis et croit peut-être de bonne

foi qu'eux seuls en sont susceptibles. Pour lui l'inimitié

est un principe d'art : Facit indignatio vernis, au lieu que

l'indignation n'a jamais fait œuvre d'architecte, de sculpteur ou de peintre.

��De sorte qu'un auteur de mémoires a généralement un pied dans l'art littéraire, un pied dans un tumulte à figure politique et qui se confond souvent avec la politique elle- même. A moins d'y être poussé par une vocation particulière et de n'écrire guère que cela, comme Retz et Saint-Simon, aucun des grands auteurs du xyii^ siècle n'a écrit ses Mé- moires. -Ils ne pensaient rien avoir à dire d'intéressant, au contraire d'un Sully, d'un Richelieu, d'un Pomponne, d'un Torcy, même d'un Louis XIV qui jugeaient utile que l'expé- rience de leur vie fût enregistrée pour leurs successeurs ou leurs descendants. Rousseau, le premier après saint Augustin,, intéresse l'humanité à la vie d'un homme qui n'est rien qu'un homme, — pas même d'un homme de lettres, puis- que la seconde partie des Confessions, écrite tard, ne rentrait pas dans le plan primitif et reste bien inférieure à la pre- mière. Mais Rousseau est entraîné pendant sa vie et surtout après sa mort, par le poids d'une réalité politique, il en est captif, et presque tous les écrivains qui après lui ont écrit des Mémoires ont mené plus ou moins une carrière mixte de politique et de littérature, ce qui ne les disposait pas tout à fait à la sagesse et à l'égalité d'âme. De nos quatre mémorialistes, deux, MM. Daudet et Dimier, sont des mi- litants de l'Action Française, Laurent Tailhade appartint à la presse anarchiste, socialiste ou socialisante. Le seul qui n'ait rien de politique, M. Albalat, est aussi le plus modéré.

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