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curiosité du grand observateur, du naturaliste : l’œil qui regarde, non la main qui s’acharne à rendre. Connaître le physique des personnages historiques, c’est, chez Mérimée, à la fois un plaisir et un besoin, comme une loi de son esprit.

« Ne trouvez-vous pas agréable de voir in the mind’s eye les objets dont il est question dans l’histoire ? Lorsque je voulais écrire l’histoire de César, j’avais tant regardé et si souvent dessiné ses médailles et son buste de Naples, que je le voyais très distinctement à Pharsale et même à Alexandrie[1]. »

Mais connaître et rendre sont deux opérations tout à fait différentes, — que l’on a peut-être trop tendance à considérer comme les deux stades complémentaires d’une opération unique : entre les deux, la relation simple de cause à effet s’établit bien moins fréquemment qu’on ne pourrait le supposer. La connaissance d’un Mérimée, — de qui Victor Cousin, pour l’avoir une fois éprouvé à ses dépens, disait : « Il ne sait rien imparfaitement », — circonstanciée et scrupuleuse, où un retrait, un repentir vient aussitôt corriger, compenser toute avance un peu risquée, de toutes les formes de connaissance est peut-être la moins favorable à l’art de rendre, au sens plastique du terme, lequel trouve son meilleur point de départ, son tremplin le plus efficace, dans une vue limitée prise par un regard perçant.

Mais, objectera-t-on peut-être, ce refus de Mérimée à entreprendre le portrait physique d’un personnage ne tiendrait-il pas, tout simplement, à quelque impuissance

  1. Une correspondance inédite, p. 53, lettre de 1856.