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qui ont un nom, combien y en a-t-il, appréciables aux yeux, qu’il est absolument impossible de déterminer par des mots ! La pauvreté des langues devient encore bien plus sensible lorsqu’il s’agit de formes, non plus de couleurs. Un œil médiocrement exercé reconnaît facilement un contour vicieux. Quiconque examine la statuette de la Vénus de Milo réduite par le procédé Callos, reconnaît aussitôt que le nez n’est pas antique. Pourtant la différence entre ce nez rapporté et le nez du statuaire grec ne peut consister qu’en une fraction de millimètre : or quels mots peuvent caractériser cette forme dont k. beauté dépend d’une fraction de millimètre en plus ou en moins ? Ce qui se sent avec tant de facilité, on ne peut l’exprimer avec du noir sur du blanc, comme disait Beyle [1]. »

Nous touchons ici le fond de la pensée de Mérimée. Si déjà il considérait qu’il était impossible de faire avec des mots la copie d’un portrait peint, d’opérer la translation dans le domaine verbal d’un système de formes et de couleurs que l’on a pourtant sous les yeux, combien devait lui paraître à la fois plus folle et plus vaine l’entreprise de l’écrivain qui, partant d’une simple image mentale, prétend néanmoins, avec le seul soutien de ces mêmes mots, édifier une œuvre qui rivalise de plasticité et comme de matière avec celle du peintre.

La protestation de toute la nature de Mérimée là-contre est encore plus foncière que celle de Taine. La protestation de Taine se rattache à ces préoccupations d’hygiéniste mental dans lesquelles Paul Bourget voit

  1. Mérimée. Portraits historiques et littéraires, pp. 184-185.