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754 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

auraient le temps, prétendait-elle, de rejoindre ceux du lycée qui, dès la neuvième ânonnaient : rosa, rosœ. On partait plus tard, mais pour arriver pas moins tôt ; les résultats l'avaient prouvé... Oui ; mais moi qui prenais la course en écharpe, j'étais handicapé ; malgré les fastidieuses répétitions de Monsieur Xadaud je perdis vite tout espoir de rattraper jamais ceux qui déjà tra- duisaient Virgile. Je sombrai dans un désespoir affreux. Ce stupide succès de récitation et la réputation de poseur qui s'ensuivit déchaînèrent l'hostilité de mes camarades ; ceux qui d'abord m'avaient entouré me renoncèrent ; les autres s'enhardirent, dès qu'ils ne me virent plus soutenu. Je fus moqué, rossé, traqué. Le supplice commençait au sortir du lycée ; pas aussitôt pourtant, car ceux qui d'abord avaient été mes com- pagnons ne m'auraient tout de même pas laissé brimer sous leurs yeux ; mais au premier détour de la rue. Avec quelle appréhension j'attendais la fin de la classe ! Et sitôt dehors, je me glissais, je courais. Heureusement nous n'habitions pas loin ; mais eux s'embusquaient sur ma route : alors, par peur des guet-apens, j'inventais d'énormes détours ; ce que les autres ayant compris, ce ne fut plus de l'affût, ce devint de la chasse à courre ; pour un peu c'aurait pu devenir amusant ; mais je sentais chez eux moins l'amour du jeu que la haine du misérable gibier que j'étais. Il y avait surtout le fils d'un entre- preneur forain, d'un directeur de cirque, un nommé Lopez, ou Tropez, ou Gomez, un butor de formes athlétiques, sensiblement plus âgé qu'aucun de nous, qui mettait son orgueil à rester dernier de la classe, dont je revois le mauvais regard, les cheveux ramenés

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