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Page:NRF 15.djvu/769

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SI LE GRAIN NE MEURT…
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rant, qui persistèrent après que les migraines eurent cessé, ou qui, plus proprement, les remplacèrent, et qui se prolongeaient des jours, des semaines, des mois. Indépendamment de tout cela, je ressentais alors un dégoût sans nom pour tout ce que nous faisions en classe, pour la classe elle-même, le régime des leçons, les examens, les concours, les récréations même ; et l’immobilité sur les bancs, les lenteurs, les insipidités, les stagnances. Que mes maux de tête vinssent fort à propos, cela est sûr ; il m’est impossible de dire dans quelle mesure j’en jouais.

Brouardel, que nous avions d’abord comme docteur, était cependant devenu si célèbre que ma mère reculait à le demander, tout empêchée par je ne sais quelle vergogne, que certainement j’héritai d’elle et qui me paralyse également en face des gens arrivés. Avec Monsieur Doussart, qui l’avait remplacé près de nous, rien de pareil n’était à craindre ; on pouvait être bien assuré que la célébrité jamais ne se saisirait de lui, car il n’offrait aucune prise : un être débonnaire, blond et niais, à la voix caressante, au regard tendre, au geste mou — inoffensif en apparence ; mais rien n’est plus redoutable qu’un sot. Comment lui pardonner ses ordonnances et le traitement qu’il prescrivit. Dès que je me sentais, ou prétendais, nerveux ; du bromure ; dès que je ne dormais pas : du chloral. Pour un cerveau qui se formait à peine ! Toutes mes défaillances de mémoire ou de volonté, plus tard, c’est lui que j’en fais responsable. Si l’on plaidait contre les morts je lui intenterais procès. J’enrage à me remémorer que durant des semaines, chaque nuit, un verre à demi plein d’une solution de