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J’avais acheté l'oignon au marché de Saint-Sulpice et l’avais mis en pot moi-même. Un glaive verdoyant avait bientôt surgi de terre, et sa croissance de jour en jour m’émerveillait ; pour la contrôler, j’avais fiché dans le pot une baguette blanche sur laquelle, chaque jour, j’inscrivais le progrès. J’avais calculé que la feuille gagnait trois cinquièmes de millimètre par heure, ce qui tout de même, avec un peu de patience, devait être perceptible à l’œil nu. Or j’étais tourmenté de savoir par où le développement se faisait. Mais j’en venais à croire que la plante donnait d’un coup toute sa poussée dans la nuit, car j’avais beau rester les yeux fixés sur la feuille... L’observation des souris était infiniment plus récompensante. Je n’étais pas depuis cinq minutes devant un livre ou devant mon glaïeul, que gentiment elles accouraient me distraire ; chaque jour je leur apportais des friandises, et je les avais enfin si bien rassurées qu’elles venaient grignoter les miettes sur la table même où je travaillais. Elles n’étaient que deux ; mais je me persuadai que l’une des deux était pleine, de sorte que chaque matin, avec des battements de cœur j’espérais l’apparition des souriceaux. Il y avait un trou dans le mur; c’est là qu’elles rentraient quand approchait M. Richard ; c’est là qu’était leur nid ; c’était de là que je m’attendais à voir sortir la portée ; et du coin de l’œil je guettais tandis que M. Richard me faisait réciter ma leçon ; naturellement je récitais fort mal ; à la fin M. Richard me demanda d’où venait que je paraissais si distrait. Jusqu’alors j’avais gardé le secret sur la présence de mes compagnes. Ce jour-là je racontai tout.

Je savais que les jeunes filles ont peur des souris ;