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SOUVENIRS SUR TOLSTOÏ 883

jours recouvrir d'une peinture de votre cru toutes les fentes et crevasses que vous apercevez. Rappelez-vous ce que dit Andersen :« La dorure s'usera, la peau de cochon restera ». Ou comme le disent les paysans : « Toute chose passera, la vérité seule restera. » Vous feriez beaucoup mieux de ne pas mettre d'emplâtre, car vous-même vous en souffrirez plus tard. Enfin, votre langage est très adroit, plein de toutes sortes d'artifices — cela n'est pas bien. Vous devez écrire d'une manière plus simple. Le peuple a le parler simple, voire même incohérent, et voilà qui est bien. Un paysan ne demande pas, comme le fitit une jeune demoiselle instruite : « Pourquoi un tiers est-il plus qu'un quart, alors que quatre est toujours plus que trois ? »

« Pas d'artifice, je vous prie. »

Il parlait avec irritation ; il était clair que ce que je venais de lui lire lui déplaisait beaucoup. Et après un silence, regardant par-dessus ma tête, il dit d'un air sombre : « Votre vieillard n'est pas sympathique, on ne croit pas en sa bonté. L'acteur peut aller ; il est bon. Connaissez-vous les « Fruits de l'Instruction » ? Mon cuisinier y ressemble fort à votre acteur. Il est difficile d'écrire des pièces de théâtre. Votre prostituée, par exemple, n'est pas mal réussie, elles doivent être comme cela. En avez-vous connu beaucoup ?

— J'en connaissais beaucoup dans le temps.

— Oui, cela se voit. La vérité s'énonce toujours d'elle- même. La plupart des choses que vous dites, sortent de vous- même, et c'est aussi pourquoi on ne trouve pas de caractère dans vos drames, et tous vos personnages ont la même figure. Je croirais que vous ne comprenez pas les femmes ; elles ne viennent pas bien chez vous. On ne s'en souvient pas...

En ce moment la femme de A. L. entra et nous invita à prendre le thé ; il se leva et sortit d'un pas pressé, comme s'il avait été content de mettre fin à la conversation.

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