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et qu’on ne l’a pas invente du tout. Je me rappelle une histoire que racontait un vieux propriétaire. Il rêvait qu’il se promenait dans une forêt et que débouchant au sortir de cette forêt sur la steppe, il vit deux collines. Celles-ci soudainement se changèrent en seins de femme et entre les seins apparut une figure noire qui en guise d’yeux avait deux lunes comme des taches blanches. Le vieil homme rêvait qu’il était debout entre les jambes de la femme et qu’il avait devant lui un ravin profond et sombre qui s’entr’ouvrait pour l’engloutir tout entier. Après ce rêve ses cheveux devinrent gris, et il fut pris d’un tremblement dans les mains. Il se rendit à l’étranger chez le docteur Kneip et se soumit à une cure d’eau. Pour moi, il n’y a pas de doute, il doit avoir vu quelque chose de ce genre. C’était un homme de mœurs dissolues. »

Il me tapa sur l’épaule.

— Mais vous vous n’êtes ni un ivrogne ni un libertin — comment vous arrive-t-il d’avoir de pareils rêves ?

— Je ne le sais pas.

— Nous ne savons rien sur nous-mêmes.

Il poussa un soupir, fronça les sourcils, resta songeur un iiietant, et puis ajouta à voix basse : « Nous ne savons rien. »

Ce soir pendant que nous nous promenions, il me dit en me prenant par le bras : « Les bottes sont en marche, terrible, hein ? tout à fait vides — tiop, tiop — et la neige grince sous les pas. Oui, cela n’est pas mal, mais il n’y a pas à dire vous êtes très livresque, vous l’êtes beaucoup. Ne vous fâchez pas, mais cela ne vaut rien et cela pourrait sérieu- sement entraver votre développement. »

Je suis à peine plus livresque que lui ; à ce moment je le considérais comme un rationaliste cruel, et toutes ses petites phrases aimables ne pouvaient rien changer à mon impression.

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