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SOUVENIRS SUR TOLSTOÏ 9OI

lui, vient de lui, sort de lui. Dans rimmobilitc méditante du vieillard, je sentais quelque chose de magique, de fatidique, quelque chose qui tout ensemble plongeait dans l'obscurité qui dévalait à ses pieds, et se dressait, tel un rayon projeté par un phare dans le vide bleu qui surplombe la terre. On eût dit que c'était lui, sa volonté concentrée qui attirait les vagues jusqu'à lui, et les repoussait, qui réglait les mouvements des noiages et des ombres, et qui éveillait les- pierres à la vie. Tout à coup, dans un moment de folie, ce miracle m'apparut possible : il va se Lever, étendre la main, et la mer seligeraet deviendra de verre,, et les pierres s'ébranleront et proféreront des cris. Tout autour de lui s'animera, prendra voix, et toutes choses — chacune dans une langue diiférente — parleront d'elles-mêmes, de lui, contre lui. Je ne puis exprimer par des mots., ce qu'à ce moment là je sentis plutôt d'ailleurs que je ne lepensai. Mon àme était partagée entre lajoie et la crainte, et puis tout se fondit en une seule pensée de bonheur : a Je ne suis pas un orphelin sur cette terre, aussi longtemps que cet homme y vit. a

Je m'éloignai alors sur la pointe des pieds, pour ne pas faire crier les galets sous mes pas, désirant ne pas le distraire dans ses pensées. — Et maintenant je me sens un orphelin, je pleure tandis que j'écris — jamais jusqu'ici je n'avais pleuré de si inconsolable détresse, de si amer désespoir. Je ne sais pas si je l'aimais, mais cela importe-t-il que ce fût amoilr ou haine que j'éprouvais pour lutPToujours il éveil- lait en moi des. sensations et des agitations qui étaient de nature gigantesque, fantastique ,- même les sentiments péni- - blés et hostiles qu'il faisait naitre n'étaient pas d'une sorte à opprimer l'âme, noais plutôt à la faire éclater ; ils accrois- saient sa sensibilité et son. volume. Il était grandiose, alors que rôdant le sol de ses bottes, comme s'il voulait impérieu- sement le niveler, on k voyait surgir soudain, on ne savait d'où, de derrière une porte ou de quelque coin, et venir

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