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100 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

SCHOPENHAUER ET SES DISCIPLES, d'après ses conversations et sa correspondance, par A. Bossert (Librai- rie Hachette, 1920).

Comme la doctrine de Schopenhauer est intimement unie à sa vie etia prolonge, il aime, à la différence d'un Descartes ou d'un Spino'/a, à entretenir ses interlocuteurs ou correspondants de ses sentiments au moins autant que de ses idées. A tout moment les démarches logiques se brisent et se fragmentent chez lui en intentions ; l'expérience quotidienne cristallise en mots d'esprit ; loin de se perdre dans le néant ou de se fondre dans la vie universelle, la personnalité se dégage. Ce sont d'abord les plaintes d'une sensibilité mal satisfaite et inquiète. Prompt à s'indigner contre les « misérables », Schopenhauer dénonce les « cabales des professeurs v, « la tactique du silence » et vit de l'opinion qu'il a de soi. Soudain son nom paraît dans un journal de modes, dans un programme de cours. Il épie les symptômes de célébrité avec une anxiété nouvelle ; il suit les progrès de la renommée « qui gagne commeunincendie » . Maintenant la phrase et l'image agissent ; le verbe s'est fait chair. Minute émouvante, si Schopenhauer, maître de soi, se fût donné, comme Voltaire ou Renan, le spectacle de sa célébrité. Mais il accueille cette célébrité tardive, gauchement, timidement, en homme de let- tres, non en homme d'action. Il la veut pour les interviews, les séances de peintres et de photographes qu'elle autorise, non pour les passions environnantes qu'elle dénude. Des enthou- siasmes, des abandons il retient « huit lettres de félicitations, un sonnet, un frais bouquet venant de Berlin, trois broderies de perles ; enfin deux livres. » Par là même, quelque compréhen- sion qu'il ait de l'œuvre des idéologues et de Bichat (détail sur lequel insiste M. Bossert) ; quelque goût qu'il affiche pour la pensée anglaise, il demeure entièrement allemand. Car il ne fut peut-être bien un grand cosmopolite que faute d'avoir réussi à être un grand Allemand au sein de l'Université, celui qui pré- cise ainsi à Frauenstaedt l'orientation de sa pensée : « Nous sommes kantiens et non cartésiens ».

RAYMOND LENOIR

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