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dant la guerre pour la civilisation française lui avait valu la notoriété chez nous. Spitteicr avait du mérite à cette attitude : il savait et il disait que s’il comptait ses amis en France il aurait trop des cinq doigts de la main. Et s’il comptait ses lecteurs ? Il serait curieux de savoir combien l’éditeur Payot a vendu d’exemplaires des traductions de « Imago », « Lieutenant Conrad », « Mes premiers souvenirs ». Pourtant la pénétrante étude de G. Bianqui dans la Rame des Deux Mondes aurait dû attirer un public à l’auteurde « Prométhée et Epiméthée » et du « Printemps Olympien ». Il faut voir en lui autre chose qu’un parent spirituel et surtout autre chose qu’un parent pauvre de Nietzsche. Il est Spitteler, il est Suisse et de nos amis. Cette amitié suisse compte plus que d’aucuns ne pensent pour l’avenir de la pensée européenne. La Suisse comme l’Alsace, au confluent de deux civilisations qui se disputent l’influence, peut ou bien absorber indifleremment l’une et l’autre et les noyer dans ses propres eaux, ou bien choisir, ou bien unir. Des trois écri- vains représentatifs de la dernière génération, Gottfried Keller est resté Suisse tout en se nourrissant de germanisme ; Conrad Ferdinand Meyer, formé à la française, a au lendemain de 1870 décidé de n’écrire qu’en allemand, et malgré lui c’est l’influence de la France encore, son esprit artiste, que ce pur écrivain difl"usait. Quant à Spitteler, dans la langue maternelle, dans la pensée allemande c’est un génie double qu’il fait tenir. Son exemple indique assez bien sinon ce que peut réaliser, du moins ce que peut faire espérer l’union du Nord et du Midi. De l’exal- tation et de la retenue, d’extraordinaires abandons lyriques et une critique mordante, un perpétuel dédoublement et contrôle de soi, voilà qui ne laisse pas seulement de donner tels beaux effets dramatiques ou humoristiques, mais qui nous intéresse d’un point de vue européen. La question n’est pas tant de décider qui l’emportera, de l’ « âme » qui entretient l’ivresse germanique, ou de la « conscience », lucide, latine, que de savoir si dionysisme et apoUinisme ne seraient point conciliables, si à la conscience claire il ne faut pas sans cesse travailler a intégrer de troubles mais riches apports, si enfin pour des Fran- çais, et des Français d’aujourd’hui, il n’y aurait pas profit à accueillir, dût en soufl"rir leur goût, des nourritures étrangères. Le génie latin, s’il doit rester quelque chose de vivant, ne peut

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